Retour sur l'assassinat d'Yvan Colonna et analyse des mouvements en Corse
- Le 06/05/2022
- Dans Actualité
En 1998, le dit « Commando Erignac » est appréhendé par les forces armées françaises, les femmes de deux militants dénoncent Yvan Colonna comme le tireur avant de revenir sur leur témoignage. S’en suivent 5 ans de fuite dans le maquis pour le berger nationaliste, finalement attrapé dans une bergerie de Porto Pollo en 2003. Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur sous la présidence de Chirac, annonce « la capture de l’assassin du préfet Erignac » avant tout jugement et malgré les protestations de Colonna clamant son innocence, version qu’il gardera inchangée jusqu’à sa mort. Colonna est condamné à la perpetuité sous statut « Détenu Particulièrement Surveillé » avec Alain Ferrandi et Pierre Alessandri.
NOTE - Cet article est une contribution de nos camarades de la Ghuventù Cumunista Cismuntinca (Jeunesse Communiste Haute Corse), il vise à donner un point de vue corse aux continentaux sur les mouvements récents en corse suite à l’assassinat d’Yvan Colonna dans sa cellule.
La volonté de l’Etat français de trouver un coupable et d’en faire un exemple pour toute voix dissidente contre l’impérialisme et la vaolonté de Sarkozy de se présenter comme défenseur de la France contre le terrorisme corse ont utilisé la justice bourgeoise à des fins éléctoralistes et répressives, faisant d’un très probable innocent un condamné à perpétuité. En effet, l’absence de preuve matérielle et directe est flagrante dans le dossier presenté lors de l’affaire. Entre autres, le rapport ballistique et le refus successif de reconstitution invalident la théorie de l’accusation.
Suite à leur condamnation dans les prisons françaises, de très nombreuses demandes de rapprochement à la prison de Borgu ont été refusées à l’encontre de la loi française. L’argument principal invoqué étant l’incapacité de la dite prison d’appliquer le statut DPS par manque de moyens matériels. Ces refus sous différents gouvernements successifs et la nature de la condamnation sans preuves directes font des 3 militants des prisonniers politiques.
Le 2 mars 2022, alors incarcéré à Arles, Yvan agé de 61 ans est victime d’une agression lors de sa séance de sport par un co-détenu islamiste radicalisé qui l’étrangle et le frappe pendant 8 minutes, avant de se rendre lui-même aux gardiens pour les prévenir de l’acte. Yvan est transféré dans un hopital dans le coma, déclaré en mort cérébrale avant de décéder le 21 mars 2022.
Le contexte de cette agression intervient dans une Corse largement gagnée aux idées nationalistes (partagée entre autonomistes et indépendantistes). Depuis 8 ans, le processus légaliste des nationalistes corses rendent ces derniers majoritaires dans la démocratie française pendant que les organisations armées suivent la demande de pacification au profit d’une démilitarisation afin de laisser travailler sereinement les partis légalistes au pouvoir. Ces partis autonomistes, représentants une bourgeoisie nationale corse, sont largement acquis à une autonomie similaire aux autres îles méditéranéennes.
Malgré la démilitarisation des forces de libération nationale, le sentiment de colère du peuple corse n’a fait que grandir du fait de l’immobilisme du gouvernement et face à l’incapacité des pouvoirs bourgeois à améliorer la situation. L’agression de Colonna a fait exploser cette colère populaire jusque là contenue. La version presentée de l’agression tout d’abord, aux vues de l’historique de la répression française et de ses méthodes, a rendu le peuple corse légitimement méfiant. Comment un détenu DPS peut-il se faire étrangler pendant 8 minutes sous des caméras de surveillance par un co-détenu présenté comme un ami, sans que les gardiens n’interviennent ? Si ses demandes de rapprochements invalidées par ce statut DPS avaient été prises en compte comme prévu dans la loi, Colonna serait vivant et sa famille n’aurait pas été victime elle aussi.
Des mouvements spontanés se sont construits à la suite de l’annonce de l’agression, des rassemblements, des veilles, sous le mot d’ordre de « Statu francese assassinu» (L’Etat français assassin) afin de demander des comptes à l’état français sur l’agression et la façon dont elle a été gerée. Ces mouvements se sont rapidement organisés par le biais d’asssemblées générales du paysage politique corse et par la mobilisation populaire d’une majoritée de corses qui s’identifient à un militant injustement emprisonné et condamné à mort par négligence. Le slogan «Simu tutti Yvan» scandé dans ces manifestations massives prouvent un sentiment national d’identification et de ressentiment envers l’impérialisme français.
La jeunesse étant au coeur de ces mouvements, les lycées et la facultée se sont rapidement vus bloqués par des jeunes. Des blocus largement acceptés et encouragés par la population corse ont donné lieu à des rassemblements devant les batîments d’administration française, violemment réprimandés par les forces de répression aboutissant sur un processus d’escalade de la violence des manifestations. Ces mouvements de jeunesse sont rapidement rejoints par les syndicats et l’ensemble des Corses. Entre autres, le STC bloque certains bateaux amenant des troupes de CRS et de gendarmes mobiles, prouvant ainsi la volonté du peuple corse et des travailleurs d’être unis dans la lutte et de ne pas céder face à l’Etat français. Après une semaine d’affrontements et de nombreux blessés dont beaucoup de lycéens, la première manifestation organisée à Corti rassemble plus de 15000 personnes applaudissant et encourageant un bloc combattif de plusieurs centaines de militants dans un principe d’autodéfense populaire face aux troupes françaises dépechées sur place.
Une autre manifestation à Bastia suit le même cours mobilisant toujours autant et faisant même fuir les nombreuses compagnies de CRS et de gendarmes qui ont tentent de faire un exemple.
Les revendications principales de ces mouvements sont; la vérité et la reconnaissance de culpabilité de l’état français quant à l’agression, la levée du statut de DPS et le rapprochement de tous les prisonniers politiques. Suite aux AG, 3 collectifs se sont créés, «Patriottu»,»Ricunescenza di u populu corse» et «Sustegnu Ghjuventù» afin d’organiser et d’axer la suite de la mobilisation. Ces collectifs ont pour but le rapatriement des prisonniers, la reconnaissance du droit à l’autodétérmination de notre peuple et l’aide aux jeunes militants blessés ou incarcérés dans ce processus.
Les revendications du peuple corse ont évolué sur une question plus large, celle de l’autodétérmination du peuple corse, à la demande d’une solution politique face à un pouvoir aveugle quant aux résultats démocratiques.
Les corses dans leur majorité ont été favorables à l’usage de la violence politique dans le cadre de la lutte de libération nationale. Ce que les partis légalistes en place demandaient depuis 8 ans, 5 jours de révolte et de combat l’ont obtenu.
La France, paniquée devant la mobilisation corse a envoyé dans un énième crachat à notre figure le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin afin de «calmer la situation». Si certains opportunistes bourgeois ont été satisfaits des promesses éléctorales de l’équipe de campagne des macronistes, la majoritée des militants et de la base populaire n’ont pas été dupes et ne veulent pas d’un dialogue ouvert avec l’état français mais bien une rupture, des semaines de mobilisation ayant prouvé que nous ne céderions pas. L’appel à la continuité et à l’intensification du mouvement à été favorablement accueillie et d’autres manifestations massives, en plus des manifestations spontanées sont prévues, notamment à Aiacciu.
La mort de Colonna a donné lieu à une action d’Isula Morta afin que la nation corse puisse faire deuil d’un de ses fils, injustement emprisonné et tué. Le rapatriement de son cercueil s’est fait au travers d’une haie venue de toute l’île, mort accueuillie sur le continent avec un mépris et un dédain prouvant encore une fois le fossé entre la France et la Corse.
Le contexte nationaliste corse fort de plus de 200 ans d’histoire s’inscrit dans une lutte contre le colonialisme français dans laquelle se succèdent des périodes de climat révolutionnaire et d’absence. Depuis le début des années 70, la lutte de libération nationale corse a pris le chemin de la lutte armée regroupant des idéologies diverses de l’extrême gauche à l’extrême droite causant une dégénerescence des mouvements armés. Le mouvement nationaliste corse, contrairement par exemple au mouvement national basque, ne s’est jamais vraiment marqué politiquement, ou du moins durablement. De nos jours, le mouvement est contrôlé par des notables et des bourgeois ayant formé très peu de cadres. La gauche corse, mis à part quelques groupes comme A Manca, Core in Fronte, ne traite pas la question de l’autodétérmination conduisant à la mainmise d’une tendance droitière libérale.
Notre rôle en tant qu’avant-garde est de prendre part à ces mouvements, de les analyser et d’éveiller une conscience de classe chez cette jeunesse, chez ces travailleurs habités d’une colère juste et très souvent peu formés théoriquement ou mal dirigés par des opportunistes bourgeois. La lutte anti-impérialiste est à la base du marxisme-léninisme et il est de notre devoir d’y prendre part. Dans un contexte de lutte de libération nationale, nous devons faire des compromis et cohabiter pour un temps avec des adversaires de classe sans perdre de vue notre objectif socialiste et indépendantiste. Nous ne voulons pas d’une autonomie aux mains de la bourgeoisie corse comme nous ne voulons pas d’une corse aux mains de la bourgeoisie française que le prolétariat corse subit depuis des centaines d’années. Nous devons inscrire la lutte anti-impérialiste en corse dans une logique de lutte des classes et sous aucun prétexte ne devons nous laisser cette lutte uniquement aux intérêts bourgeois, comme le fait le PCF depuis les premières manifestations nationalistes, alors même que la CGT s’est jointe aux appels.
Les premières victimes du colonialisme français en Corse et partout ailleurs sont les travailleurs, les paysans, le prolétariat. Le contexte économique corse s’inscrit dans l’agro-pastoralisme et l’industrialisation progressive qui a permis à notre île une auto-suffisance jusqu’à la première guerre mondiale. Depuis les années 50, la France a entamé une transition économique en Corse en détruisant les territoires agricoles, en réquisitionnant des terres pour la construction immobilière et les infrastructures touristiques afin de l’orienter pleinement vers une économie de tout-tourisme. Cette transition a signé la dépendance totale de la Corse à la France et a vendu les travailleurs corses à la bourgeoisie, les forçant à se ré-orienter vers le secteur touristique, le BTP, la grande distribution et la fonction publique pour la classe moyenne supérieure. Avec une économie basée à 80% sur le tourisme et l’immobilier, la Corse est la région la plus pauvre de France métropolitaine avec le plus haut taux de chômage et le plus en manque d’infrastructure publiques. Nous sommes obligés de nous exiler pour travailler, étudier, nous soigner. L’indépendance socialiste est un besoin vital pour la Corse et son peuple, une ré-industrialisation par la dictature du prolétariat et la démocratie ouvrière et paysanne permettraient au peuple corse de vivre dignement dans le respect de sa culture et sans la domination d’une puissance impérialiste qui n’a que le profit de ses élites en ligne de mire.
EVVIVÀ A LOTTÀ, EVVIVÀ U SUCIALISMU E A CORSICA NAZIONE !
Avant-Garde Yvan Colonna Corse mobilisation indépendance